Je viens de visiter la nouvelle exposition de l’Espace des Arts Mitsukoshi – Étoile consacrée à la rétrospective de l’œuvre d’un céramiste d’art japonais contemporain au talent incroyable.
Elle s’achève malheureusement le 9 mai prochain, mais je vous la conseille vivement car elle présente des créations à mille lieues de ce qu’on pourrait s’attendre d’un maître potier nippon.
Héritier d’une lignée de céramistes de la ville de Hagi, MIWA Kyûsetsu XII*, possède le statut de « Trésor Vivant ». Son œuvre est surprenant de variété. Balançant entre mystique et sensualité, le tout teinté d’un humour certain, il a choisi de remédier à une lacune de la céramique japonaise qu’il considère inadmissible et même malsaine.
Il sera donc le premier potier japonais à introduire la dimension érotique dans ses créations. Impossible, non plus, de ne pas l’associer à son antagoniste : la mort. L’Eros, dans son travail, est cependant davantage une forme de sublimation de la fécondité. Ses créations parlent d’un Amour délicat, sensuel, avec des teintes douces voluptueuses mais fraîches. Notamment à travers sa série des Mariya, de sublimes bustes féminins à la texture veloutée et
aux mains délicates. Ceux-ci ne sont pas sans rappeler la finesse de certains mangas. Le graphisme possède, d’ailleurs, une forte présence dans le travail hautement symbolique de MIWA. Les frises, comme les textes calligraphiés s’incrustent dans sa statuaire, et il n’hésite pas à représenter la déesse Himiko comme un gigantesque livre au cœur duquel s’ouvre une bouche / vulve.
Loin de se cantonner au « zen », son œuvre se révèle très passionné, dévoilant la force de son imaginaire torturé. Mêlant travail léché, lisse, géométrique au rugueux de la destruction. Nombre de ses séries profitent des effets fumés de la technique Kokutô**. « L’usure » fissure ses créations, jusqu’aux divinités même, rien n’étant pérenne. Pas même lui-même, car il ne compte pas vivre plus d’un millénaire ( !) et a déjà modelé son épitaphe.
En dépit de cette intense aura tourmentée, on se surprend à ressentir une certaine plénitude lorsqu’on se penche sur ses réalisations plus typiques du Japon comme ses minuscules Bouddha. Pour lesquels, il excelle dans la maîtrise du contraste noir et blanc. Utilisant l’art subtil de la tradition céramique de Hagi (une couverte crémeuse blanche comme la neige pouvant se teinter de mauve très pâle en fonction de variations de température de cuisson.), MIWA, en tant que maître de sa lignée, se doit de concevoir des objets usuels de la Cérémonie du Thé. Mais cela, en gardant toujours à l’esprit son désir de transcender l’utilitaire en œuvre d’art à part entière.
Artiste dans l’âme, il a toutefois décidé de se consacrer à la poterie, car il s’émerveille de la lutte de tous les instants qu’exige la cuisson au four. Le travail du feu en céramique est capricieux, et c’est cette dimension indomptable, quasi divine, qu’il apprécie. Le voilà captivé par cette confrontation entre sa création et ce que l’élément va lui insuffler parfois fougueux, parfois heureusement complaisant… Force est de constater qu’on pourrait bien croire qu’il a été touché par la grâce divine. Il n’aura donc pas trop de mille ans pour exprimer sa brillante personnalité.
EROS D’ARGILE ET THANATOS FUSIONNELS
Espace des Arts Mitsukoshi – Étoile,
3, rue de Tilsitt Paris (8e)
01 44 09 11 11
www.mitsukoshi.co.jp/store/3010/france/miwa.html
* Au Japon, le nom de famille précède toujours le prénom. Ici, le prénom Kyûsetsu a été adopté par le nouvel héritier de la lignée à la mort de son père lorsqu’il lui a succédé. Il est alors devenu le douzième Kyûsetsu, perpétuant l’art de ses ancêtres.
** Datant de plus de cinq millénaires et venue de Chine, la poterie Kokutô consiste en un dépôt de fumée noire produite pas l’ajout d’aiguilles de pin en cours de cuisson.